Patricia Prenant nous a quittés
C’est avec beaucoup de tristesse et d’émotion que nous avons appris la brutale disparition de Patricia Prenant, le 8 février 2017, à l’âge de 45 ans. Universitaire, docteur en histoire du droit, devenue ensuite journaliste, ses travaux ont profondément renouvelé, ces dernières années, divers aspects de l’histoire du Pays niçois et de la Provence orientale.
Originaire du Loir-et-Cher, mais depuis longtemps installée à Nice, Patricia Prenant en avait fait sa Patrie. À l’issue de brillantes études de droit dans notre université, elle s’était orientée vers l’histoire du droit et obtenu un master de recherche, avec un mémoire de droit romain sous la direction du Professeur Maryse Carlin. Puis, au moment de choisir un sujet de thèse, c’est l’histoire locale qu’elle avait voulu privilégier en choisissant, sous la direction de Marc Ortolani, d’aborder la question du brigandage, entre Nice et la Provence, et de l’Ancien-régime à la Restauration. Malgré la complexité de sujet, en raison de la nécessaire comparaison de systèmes répressifs différents, évoluant au gré des régimes et des politiques criminelles, Patricia Prenant, avait su réaliser en 2008 une thèse brillante, unanimement appréciée par les instances nationales de la recherche, couronnée par le prix de la recherche décerné par le Conseil général, et publiée en 2011 sous le titre « La bourse ou la vie ! Le brigandage et sa répression dans le pays niçois et en Provence orientale (XVIIIe – XIXe siècles) »[1].
Puis, dans la perspective d’une carrière universitaire, elle s’était lancée dans un grand nombre de recherches d’histoire juridique novatrices, certaines dans le prolongement de la thèse[2], ou sur la thématique de la justice[3], mais d’autres aussi autour de questions politiques (avec notamment un saisissant portrait du « mécène » Raphaël Bischoffsheim)[4] intéressant notre région. Mais c’est surtout vers des questions économiques et sociales que Patricia Prenant allait orienter ses recherches, avec des travaux sur les mouvements sociaux[5], la défense du patrimoine forestier[6] ou celle de la moralité publique[7], ou bien encore les biens des ennemis durant la première guerre mondiale[8]. Se confirmait ainsi, parallèlement à ses travaux consacrés à l’histoire du droit pénal et de la justice criminelle, son goût pour les questions sociales. À côté de ces belles recherches, Patricia Prenant poursuivait ses activités d’enseignement à la Faculté de droit de l’Université de Nice Sophia Antipolis, très appréciée de ses étudiants et de ses collègues, ainsi qu’à l’Université du Sud Toulon-Var, mais aussi au Maroc.
Ses activités professionnelles devaient la conduire ensuite à offrir ses services au Conseil général des Alpes-Maritimes. Affectée au service du Patrimoine culturel, elle allait être chargée, en 2014, de la préparation de plusieurs inventaires en lien avec les commémorations de la première guerre mondiale[9], puis relatifs au patrimoine industriel du département[10], ce qui devait la conduire à s’intéresser aux activités industrielles grassoises[11]. Partant de cette nouvelle orientation de recherche, Patricia Prenant, en collaboration avec Gabriel Benalloul, historien de la parfumerie grassoise, allait coordonner deux ouvrages, publiés par l’ASPEAM[12], l’un consacré à la dynastie des Ossola, l’autre aux parfumeurs Cavallier, avec, à chaque fois, un chapitre remarqué de sa plume[13]. Abordant cette thématique nouvelle avec le regard du juriste, Patricia Prenant avait commencé à s’intéresser à la protection juridique du parfum, dont elle comptait faire un nouveau thème de recherche.
Depuis trois ans maintenant, Patricia Prenant avait rejoint l’équipe du Patriote Côte d’Azur dont elle était vite devenue la principale collaboratrice, « la journaliste » du Patriote, contribuant à l’évolution et au rayonnement du journal, en particulier dans sa dimension culturelle. L’hommage unanime et de tous horizons qui lui a été rendu dans ses pages[14] témoigne de la place qu’elle y occupait et de toute l’estime qu’elle méritait, pour ses qualités à la fois professionnelles et humaines. En l’espace de quelques années, elle était devenue en effet une journaliste appréciée, attentive et exigeante, comme elle l’était avant tout avec elle-même et tout en étant à l’écoute des autres.
Sa disparition laisse un vide immense, en même temps qu’un terrible sentiment d’inachevé : on songe ici à ses travaux non publiés[15], à ses projets de recherche, aux articles qu’elle préparait. Tout cela s’est achevé brusquement un petit matin d’hiver. Il est bien cruel de devoir aujourd’hui parler d’elle au passé alors qu’elle aurait pu, dans le futur, encore tant nous apporter.
Marc Ortolani – Olivier Vernier
[1] Patricia Prenant, « La bourse ou la vie ! Le brigandage et sa répression dans le pays niçois et en Provence orientale (XVIIIe – XIXe siècles) », Nice, Aspeam, 2011, 517 p.
[2] Patricia Prenant, « Le brigandage jugé par le Sénat de Nice sous la Restauration sarde », Recherches régionales, 2004, pp. 47-59 ; « Vols sur le grand chemin et rançonnements à l’est du Comté de Nice au XVIIIe siècle », Journée d’étude la Société d’art et d’histoire du Mentonnais, 2008 ; « Le brigandage dans le Comté de Nice sous la Restauration sarde : la justice confrontée à la fuite des criminels hors des frontières », Migrations et société, n° 140, 2012, pp. 105-115.
[3] Patricia Prenant, « Les compétences du conseil de préfecture en matière de contravention à la police du roulage, 1860-1921 », in O. Vernier, M. Ortolani (dir.), La justice administrative à Nice, 1800-1953, du Conseil de préfecture au Tribunal administratif, Nice, Serre, 2006, pp. 53-74 ; « Justice royale et justice seigneuriale à Saint-Vallier », in M-H. Froeschlé-Chopard (dir.), Saint-Vallier-de-Thiey autrefois, La primauté de la petite patrie, Nice, Serre, 2013, pp. 158-160 ; « Les compétences du juge d’instruction sarde en matière criminelle, l’exemple du juge de mandement dans le ressort du Sénat de Nice sous la Restauration », in S. Blot-Maccagnan (dir.), Du lieutenant criminel au juge d’instruction, Colloque, Nice, 2013, à paraître aux P.U.Rennes, 2018.
[4] Patricia Prenant, « Raphaël Bischoffsheim, entre affairisme et philanthropie, une figure emblématique de la vie politique niçoise de la fin du XIXe siècle », Cahiers de la Méditerranée, n° 77, 2008, pp. 171-183.
[5] Patricia Prenant, « Les mouvements sociaux à Nice en 1906 et la gestion de la crise par les pouvoirs publics », Cahiers de la Méditerranée, Nice, n° 74, 2007, pp. 237-257.
[6] Patricia Prenant, « Le patrimoine forestier des Alpes-Maritimes face aux incendies, la mise en place progressive d’une politique de protection de 1860 jusqu’aux années 1930 », in M. Ortolani (dir.), Protection et valorisation des ressources naturelles dans les États de Savoie. Contribution à une histoire du développement durable, Nice, Serre, 2014, pp. 73-88.
[7] Patricia Prenant, « Les actions de la Ligue pour la défense de la moralité publique à Nice au début du XXe siècle : lutte contre la prostitution et les publications licencieuses », in S. Cadiou (dir.), Gouverner sous pression ? La participation des groupes d’intérêt aux affaires territoriales, Fondation Maison des sciences de l’homme, Droit et Société – Recherches et travaux, LGDJ, 2016, n°31, pp. 233-246.
[8] Patricia Prenant et Olivier Vernier, « Le sort des biens des nations ennemies dans les Alpes-Maritimes (1914-1918) », Journée d’étude de la Société Scientifique et Littéraire de Cannes et de l’arrondissement de Grasse, in C. Marro et O.Vernier (dir), Les Alpes-Maritimes dans la Grande guerre, un département cosmopolite et patriote, 2014, Annales de la Société scientifique et littéraire de Cannes et de l’arrondissement de Grasse, tome LX, 2015, pp. 27-38.
[9] Inventaire des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale dans les Alpes-Maritimes d’après les sources d’archives, Conseil général des Alpes-Maritimes, Service Patrimoine culturel, mars 2014 ; Inventaire des établissements sanitaires durant la Première Guerre mondiale dans les Alpes-Maritimes d’après les sources d’archives, Conseil général des Alpes-Maritimes, Service Patrimoine culturel, mars 2014.
[10] Inventaire du patrimoine industriel des Alpes-Maritimes (1860-1950) d’après les sources d’archives, Conseil général des Alpes-Maritimes, Service Patrimoine culturel, octobre 2013.
[11] Inventaire des savonneries grassoises (XVIIIe – XXe siècles), Service Ville d’Art et d’Histoire de Grasse et Musée International de la Parfumerie, juin 2014. Elle collabora aussi à l’ouvrage collectif, Bains, bulles & beautés : une histoire de la toilette et de la beauté, Paris, Editions Gourcuff-Gradenigo, 204, p.67-73.
[12] Patricia Prenant était un membre très actif de l’ASPEAM dont elle était secrétaire générale adjointe.
[13] Patricia Prenant, « La propriété littéraire de Guy de Maupassant : l’héritage de la famille Ossola (1906-1958) », Grasse et les Ossola, une dynastie de notables au service de la cité et de la France sous la IIIe République, Nice, ASPEAM, 2012, pp. 217-272 ; « Industrie du luxe et commerce international : cent ans d’échanges entre Grasse et Cologne » in Cavallier Frères : dans les coulisses d’une parfumerie grassoise, Nice, ASPEAM, 2013, pp. 11-63.
[14] Le Patriote Côte d’Azur, n°175, semaine du 17 au 23 février 2017, pp. 7-8.
[15] Par exemple, « L’uditore di guerra », colloque international de la Société Internationale d’Histoire de la profession d’avocat, (U. Bellagamba, dir.), Les avocats en temps de guerre. Représentation d’une profession face à la crise, Nice, décembre 2014.