In memoriam

En mémoire de Noël Coulet (1932-2023)

Né le 4 octobre 1932 à Cogolin (Var), décédé à l’âge de 90 ans le 15 janvier 2023 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), Noël Coulet est resté attaché au long de son existence à la Provence et à la ville d’Aix.

Après une « khâgne » au Lycée Thiers de Marseille et des études continuées à la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, il était brillamment reçu à l’agrégation d’histoire en 1956. Il obtenait un premier poste au lycée de Tournon (Ardèche), mais il rejoignait dès la rentrée de 1957 le lycée Mignet d’Aix, pour y enseigner jusqu’en 1963. À compter de 1960, cependant, sa carrière universitaire se développait à la facultés des Lettres d’Aix-en-Provence puis à l’Université de Provence. D’abord chargé de cours, il devenait assistant en 1963, maître-assistant en 1968, chargé d’enseignement en 1971, professeur en 1980. Il dirigeait de longues années le Département d’histoire. Il participait encore à l’UMR Telemme depuis sa fondation (1994), avec une vraie présence jusqu’à sa dernière année. De fait, devenu professeur émérite en 1998, il demeurait toujours aussi dynamique au service de la vie universitaire. Juste reconnaissance d’une inlassable activité scientifique et pédagogique, il était promu chevalier des palmes académiques en 1985 et officier en 1992.

Depuis ses études, sa formation et sa maturation intellectuelles ne se séparèrent pas des amitiés et des échanges noués avec les historiens majeurs qui, d’une manière ou de l’autre, touchèrent à l’espace provençal, tels Maurice Agulhon, Jacques Le Goff, Michel Vovelle et Georges Duby, son directeur de thèse.

Noël Coulet soutint cette thèse d’État devant l’Université de Provence, en 1979, sous le titre : Aix-en-Provence, espace et relations d’une capitale (milieu XIVe s.-milieu XVe s.). La qualité du mémoire permit son édition quasi intégrale aux PUP en 1988. Il ne s’agissait pas d’érudition locale, au sens étroit du terme, mais d’un modèle historiographique qui fit école. Il se distingua comme une référence entre les thèses d’histoire urbaine, qui se multipliaient alors.

L’ouvrage illustrait bien sûr la dimension première des travaux de Noël Coulet, savoir l’économie et la société en Provence sur la fin du Moyen Âge. Dans ce registre, des publications nombreuses devançaient la thèse puis continuaient ses pistes. Elles les étendaient plutôt à l’ensemble des comtés provençaux, en allant des cités du bas pays à l’économie alpine. Noël Coulet établissait ainsi les temps et les modalités de l’essor d’une grande transhumance, entre autres dans une étude qui fit date : « Sources et aspects de la transhumance des ovins en Provence au bas Moyen Âge », dans Le monde alpin et rhodanien, 6 (1978), p. 213-247.

Une place spéciale doit se reconnaître aux enquêtes novatrices, menées en une vingtaine d’articles, sur le judaïsme provençal. L’une des dernières publication du regretté maître porta d’ailleurs sur cet objet : « Dayas Quinoni, la Peste noire et la tallia judeorum », dans Revues des études juives, 181 (2022), p. 159-184. Au long de ses contributions, il démontra, au premier chef, la longue coexistence de la communauté juive avec la société chrétienne. Il mit son savoir à la disposition des étudiants de son université en créant, avec Jean-Marc Chouraqui, un enseignement spécifique, à compter de 1990, sur le judaïsme de l’Antiquité à nos jours.

Les curiosités de Noël Coulet furent au vrai trop nombreuses pour les énumérer. Avertissons seulement qu’elles dépassèrent de beaucoup le socio-économique, pour toucher au politique, à l’administration, à la religion, aux croyances et aux expressions culturelles. Il ouvrit par exemple le champ à l’étude des rituels politiques, telles les entrées royales dans les villes de Provence aux XIVe-XVe siècles. L’intérêt de Noël Coulet pour les idéologies et les représentations se trouve heureusement condensé dans un recueil assez récent de ses études principales en ces matières : Rites, histoires et mythes de Provence, PUP, Aix-en-Provence, 2012.

Ce volume signale encore que Noël Coulet étendit ses investigations du Moyen Âge aux Temps modernes voire contemporains. Il en alla de la sorte avec : « Les jeux de la Fête-Dieu d’Aix, une fête médiévale ? » (p. 83-103). Se relève jusqu’à une révision, cum grano salis, des légendes autour du calisson (p. 239-245) ! Une dernière publication, posthume, du maître sera, au reste, une notice sur la célèbre famille de confiseurs aixois des Parli, dont il descendait par sa mère, pour le quatrième tome du Dictionnaire biographique des protestants français.

En parallèle aux recherches érudites les plus variées, Noël Coulet contribua à des synthèses majeures sur la Provence. Avec Maurice Agulhon, il rédigea L’histoire de la Provence pour la collection « Que sais-je ? » (n° 149, dernière édition en 2018). Il écrivit, avec Martin Aurell et Jean-Paul Boyer, La Provence au Moyen Âge, titre paru aux PUP en 2005. Avec Florian Mazel, il dirigea enfin une Histoire d’Aix-en-Provence, parue aux PUR en 2020.

Pour Noël Coulet, l’histoire provençale ne devait pas cependant se fermer sur elle-même. Il se penchait sur les relations avec l’Italie, comme il intégrait la Provence à l’ensemble des domaines dits « angevins », ceux des deux dynasties des rois capétiens de Sicile-Naples.

Dès 1982, il donnait avec Alice Planche et Françoise Robin un ouvrage sur Le roi René (Aix-en-Provence, Édisud). Vers la même époque, il entreprenait des recherches sur le peuplement en synergie avec le Professeur Rinaldo Comba, pour le Piémont voisin. De la sorte, il se penchait sur l’immigration italienne, spécialement piémontaise. Citons : « Mutations de l’immigration italienne en basse Provence occidentale à la fin du Moyen Âge », dans Strutture familiari, epidemie, migrazioni nell’Italia medievale, Naples, 1984, p. 439-510. Puis, il découvrait, éditait et interprétait un remarquable dossier qui illustrait encore les liens entre Provence et Italie : Affaires d’argent et affaires de famille en haute Provence au XIVe siècle, le dossier du procès de Sybille de Cabris contre Matteo Villani et la compagnie des Buonnacorsi, Rome, 1992 (Collection de l’École française de Rome, 158).

À partir de 1995, le Professeur Coulet participait au renouveau des études angevines. Il tenait un rôle essentiel dans la dense série de colloques, organisés au premier chef par l’École française de Rome, qui relançaient cette historiographie angevine. Il nouait alors un dialogue privilégié avec le regretté Professeur Galasso. Deux essais en miroir attestent leurs échanges fructueux, dans le recueil : L’État angevin. Pouvoir, culture et société entre XIIIe et XIVe siècle, Rome, 1998 (Collection de l’École française de Rome, 245). Aux pages 317-338, l’on relève l’article de Noël Coulet : « Aix, capitale de la Provence angevine ». Suit, aux pages 339-360, celui de Giuseppe Galasso : « Carlo I d’Angiò e la scelta di Napoli come capitale ». Il vaut d’ajouter que les ultimes travaux de Noël Coulet comportent deux publications dans des revues napolitaines. Il s’agit, de fait, de points qui soulignent les destins convergents de la Provence et du Mezzogiorno :

– « La mort de Ladislas de Durazzo dans les sources provençales », dans Archivio storico per le province napoletane, 139 (2021), p. 315-322.

– « Aspects de la religion civique à Arles au bas Moyen Âge. Cantars et entrées dans la chronique de Bertrand Boysset », dans Polygraphia, 3 (2021), p. 355-374.

Enfin, dans la logique de son ouverture d’esprit, Noël Coulet ne se limitait pas à la Provence. Son intérêt pour l’histoire religieuse en faisait le spécialiste européen des visites pastorales dans l’Occident chrétien. Signalons, en particulier : Les visites Pastorales (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 23, Brépols, Turnhout, 1977, mise à jour en 1985).

Ce résumé, aussi rapide soit-il, laisse comprendre les orientations méthodologiques de Noël Coulet. Sa priorité initiale était la quête des sources, leur transcription et leur examen. Il conviendrait de parler même d’humilité devant les sources. Cette position épistémologique signifiait le refus de l’esprit de système, de la confusion à bien regarder entre interprétations philosophiques du monde et histoire. L’horizon d’une telle démarche était donc le souci de la vérité. De là découlait une vigilance inlassable pour poser question à tout, pour recevoir tout ce que les sources enseignaient ou dénonçaient.

Le passé se purgeait alors de ses légendes, celles qu’il avait inventées comme celles qui s’étaient édifiées à son propos. Ainsi Noël Coulet dénonçait-il l’élaboration relativement tardive, surtout à compter du XIIIe siècle, de la croyance dans l’apostolat provençal des saints de Béthanie. Il ne s’agissait ni certes d’une réalité historique, ni même d’une conviction invétérée. Le sens critique du Professeur Coulet s’exerçait autant contre la fable du « bon roi René », forgée en des époques bien postérieures, surtout au XIXe siècle. En somme, la mémoire des peuples était tissue de fictions, parfois innocentes, souvent calculées.

Sur des bases devenues solides, la connaissance du Moyen Âge servait véritablement au présent. Il prévenait des mécanismes de haine qui, avec les crises entamées par la Peste noire, trouvaient dans les juifs des victimes expiatoires. Il apprenait à se méfier des permanences, par exemple dans l’habitat ou dans l’économie rurale. Il rendait pourtant conscient du profond substrat sur lequel reposaient les sociétés, tel ce milieu provençal auquel Noël Coulet était tant attaché. Or, son approche des mondes anciens lui survit.

En effet, le professeur, au sens propre, avait autant d’importance chez lui que le savant. Il laisse une cohorte de disciples, voire d’élèves de disciples, pour prolonger son œuvre. Chacun d’eux témoignera de son dévouement pour soutenir les efforts des étudiants et des jeunes chercheurs. Dans ce cadre, il développa ainsi une relation privilégiée avec les universitaires canadiens, dont plusieurs comptent parmi les meilleurs médiévistes du moment. Il faudrait pouvoir inventorier les séminaires qu’il assura, les maîtrises et thèses qu’il dirigea, les HDR qu’il guida, pour ne pas parler des jurys auxquels il participa. Disons-le, la tâche est impossible.

Ce dévouement était au reste une facette de son souci de soutenir les entreprises collectives. Le simple survol de sa bibliographie a déjà averti de cette disposition. Il conviendrait d’ajouter les livres dont il accepta la direction. Il venait de conclure, à la veille de sa mort, la supervision des Mélanges en l’honneur d’Élisabeth Sauze (Provence historique, fasc. 272, 2022). Dans des années récentes encore, sa vaste science avait apporté une contribution constante et opportune à l’édition, sous la direction de Thierry Pécout, des grandes enquêtes sur leurs droits voulues par les rois « angevins » : celle de 1297-1299 et celle de 1331-1334 (soit dix volumes publiés par le CTHS, en 2008-2018).

Le sens exceptionnel du bien commun, chez Noël Coulet, se distinguait également dans la direction de la revue Provence historique. Il en assurait la conduite depuis 1980, et le jour même de son décès il s’astreignait encore à cette tâche. Avec lui, Provence historique devint au reste l’une des revues savantes les plus estimées de l’Université française. Tant comme directeur de revue que comme administrateur, il s’impliqua pendant des décennies dans les activités associatives de la Fédération historique de Provence. Il en accompagna et en favorisa toutes les mutations, particulièrement lors de la mise en ligne de Provence historique.

L’humanisme de Noël Coulet, son sens du collectif et du service d’autrui s’étendaient à la sphère privée. Ils trouvaient là un domaine pour se déployer encore et un moteur. Entendons ici, avant tout, son engagement dans la Fédération protestante de France. Il en présida le forum des relations œcuméniques, responsabilité fort significative de son ouverture vers les autres. Il en présida également la commission académique et l’Institut de théologie. L’on trouvera d’ailleurs une excellente notice sur le regretté professeur, due à Régis Bertrand, dans le Dictionnaire biographique des protestants français, dir. P. Cabanel et A. Encrevé, t. I, Paris, 2015, p. 757.

C’est assurément une perte immense que viennent de subir ses amis, ses élèves et l’Université française aux côtés de sa famille, dont beaucoup partagent la douleur.

Les élèves et collègues de Noël Coulet

Mille visages d’Aix-en-Provence, Dictionnaire biographique, Aix, Académie d’Aix Éditions, 2023 :

COULET Noël,

Historien médiéviste

né à Cogolin (Var) le 4 octobre 1932, mort à Aix-en-Provence le 15 janvier 2023

Descendant par sa mère des calissonniers Parli, N. Coulet a fait ses études à Aix et ensuite toute sa carrière universitaire à la faculté des lettres, où G. Duby* l’a appelé dès 1960. Il y a été professeur d’histoire du Moyen Âge de 1980 à 1998. Son œuvre considérable est presque entièrement consacrée à Aix et à la Provence. Sa grande thèse d’État, Aix-en-Provence. Espace et relations d’une capitale (milieu XIVe s-milieu XVe s.), soutenue en 1979, publiée en 1988, reste un modèle historiographique et une étude sans équivalent d’une période de l’histoire de la ville. Il étendit ensuite ses nombreux questionnements à l’ensemble de la Provence de la fin du Moyen Âge, conjuguant une extrême rigueur critique à une exceptionnelle connaissance des sources. Il avait débuté par l’histoire économique et sociale, avec des articles désormais classiques sur la naissance des bastides ou l’essor de la transhumance. Il consacra une vingtaine d’études au judaïsme provençal. Il pratiqua précocement l’ethnohistoire avec ses études sur les rituels d’entrées royales ou sur l’évolution de la fête-Dieu. Il réunit en recueil en 2012 ses principaux travaux d’histoire des représentations : Rites, histoires et mythes de Provence, Aix, PUP.

Avec ses élèves, il a joué un rôle fondamental dans le renouvellement international des études angevines et le développement franco-canadien des recherches sur la Haute-Provence médiévale. Il a donné, en collaboration avec M. Agulhon*, une Histoire de la Provence novatrice en 1987 dans la collection Que sais-je ? (dernière édition 2018), puis en 2005, aux PuP, avec M. Aurell et J.-P. Boyer, une somme, La Provence au Moyen-Âge. Il a participé à l’histoire du diocèse d’Aix dirigée par J. R. Palanque* (Paris, Beauchesne, 1975) et à l’Histoire d’Aix des éditions Édisud en 1977. Il codirigea avec Fl. Mazel la nouvelle Histoire d’Aix-en-Provence, publiée à Rennes, aux PuR, en 2020.

Noël Coulet avait succédé en 1980 à P.-A. Février* à la direction de Provence Historique. Il s’y consacra sans relâche. Il a coordonné la dernière livraison de 2022 parue une semaine avant sa mort, lui donnant une préface et un article. Animateur de l’association des amis de P.-A. Février, il s’est occupé pendant de nombreuses années de l’accueil à Aix, dans l’appartement que P.-A. Février avait légué à l’université, de très nombreux doctorants ou chercheurs venus travailler à Aix sur l’Antiquité et le Moyen Âge.

RB

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